mercredi 25 juillet 2007

Aujourd’hui le maroc : Affaire Alwatan : Liberté de la presse et sécurité de l’Etat

23-7-2007
Le débat impose deux questions : au nom de la liberté d’expression et du droit à l’information, la presse est-elle en droit de ne se reconnaître aucune limite ? Les journalistes, par essence et par définition des partenaires incontournables de la démocratie, sont-ils au-dessus de tout soupçon et en conséquence au-dessus de la loi ? Souvent, le corps de la presse a tendance narcissiquement à le penser, voire à le croire.L’arrestation de Abderrahim Ariri, directeur du journal Alwatane, et de son collaborateur Mustapha Hormat Allah, ainsi que les poursuites engagées contre eux sont embarrassantes à plus d’un titre. Embarrassantes d’abord pour la construction d’un Etat démocratique qui se voit une fois de plus contraint de s’exposer à la critique pour «atteinte à la liberté d’expression». Embarrassantes ensuite pour la profession forcée encore à une solidarité corporatiste où l’enjeu journalistique n’est pas évident. Si le Syndicat national de la presse marocaine, tout à fait dans son rôle, a cru bon condamner sans réserve ces poursuites, Reporters Sans Frontières, même s’il fait montre du même soutien, laisse transparaître une certaine gêne en indiquant qu’une «convocation pour une audience aurait suffi», reconnaissant par là de fait la légitimité des autorités à chercher à voir plus clair dans la publication de documents sécuritaires qualifiés de confidentiels.Il ne fait de mystère pour personne qu’Abderrahim Ariri, comme le souligne une dépêche de l’AFP, «a fait de l’armée, de la police et du Sahara ses sujets de prédilection, ce qui n’a pas manqué de lui attirer des problèmes à plusieurs reprises avec les autorités.» Cette fois-ci, dans son traitement de ces dossiers hautement sensibles, Alwatane est apparemment allé un peu plus loin que d’habitude en publiant ce qu’il qualifie lui-même de «rapports secrets sur l’état d’alerte au Maroc». Selon le procureur général du Roi, «l’enquête préliminaire pour déterminer les circonstances des fuites de ces documents secrets et d’en identifier les responsables a permis la saisie de plusieurs autres documents émanant d’administrations sécuritaires et revêtant tous un caractère ultraconfidentiel.» Leur seule détention tombe sous le coup de la loi quel que soit le pays où pareilles affaires se produisent et quel que soit le niveau atteint par sa démocratie. Il y a un peu plus d’une année, un journaliste américain a écopé de deux ans de prison pour avoir refusé de révéler à la justice les sources de ses informations confidentielles. Auteur d’un documentaire sur une manifestation contre le G8 à San Francisco en 2005, Josh Wolf, le blogueur et journaliste indépendant, avait été condamné et incarcéré une première fois du 1er août au 1er septembre 2006. A l’issue de la procédure d’appel, la sentence avait été confirmée et Josh Wolf renvoyé au pénitencier fédéral de Dublin, près de San Francisco, le 20 septembre 2006. L’addition des deux séjours porte la totalité de sa détention à 224 jours.Si les documents publiés par Ariri n’ont qu’une importance relative, ceux retrouvés, parfois en plusieurs exemplaires, dans une ferme appartenant à la belle famille de l’un des deux poursuivis, tels que des mouvements de l’armée, relèvent, selon les autorités, du secret défense. Ce qui a conduit les enquêteurs à s’interroger sur leur utilité pour le simple travail de journaliste et sur leur destination finale. Naturellement, l’examen de cette affaire comporte deux niveaux de responsabilité que nul ne cherche à occulter :Le premier se rapporte directement à la responsabilité d’agents de l’Etat à l’origine de ces fuites. Les autorités sont visiblement décidées à aller jusqu’au bout de l’affaire pour déterminer l’ampleur de ces informations et des ramifications qui en sont à l’origine. Toutes les pistes sont à prospecter. Il ne s’agit pas moins que de savoir s’il est question d’action organisée à des fins précises ou d’actes isolés commis par un ou des aigris à la recherche de règlement de compte, des déçus du changement, des nostalgiques d’une autre époque ou carrément, le risque étant partout constant, d’agents retournés.Le second niveau concerne la presse elle-même. Il impose deux questions : Au nom de la liberté d’expression et du droit à l’information, la presse est-elle en droit de ne se reconnaître aucune limite ? Les journalistes, par essence et par définition des partenaires incontournables de la démocratie, sont-ils au-dessus de tout soupçon et en conséquence au-dessus de la loi ? Souvent, le corps de la presse a tendance narcissiquement à le penser, voire à le croire. A tort ! Certainement qu’il est plus d’actualité aujourd’hui que régulièrement la presse, mue par la surenchère commerciale et par une rivalité effrénée dans "l’audace éditoriale", péche par surdosage, mais le débat ne date pas d’hier. En mars 1993, au colloque national sur l’information, j’ai eu, en ma qualité à l’époque de premier vice-président du Club de la presse, à «plaider» devant le groupe cadre juridique et situation professionnelle, pour l’émancipation des journalistes alors professionnellement et syndicalement soumis au bon vouloir de l’Etat quand il s’agissait des médias publics, et du patronat pour la presse partisane. L’analyse partait d’un constat simple (cf. L’Opinion du 30 mars 93) : «Partout dans les pays qui prétendent à la démocratie, où la presse entend ne pas être à la « solde », pouvoir et médias font mauvais ménage. Le premier aime vivre dans le confidentiel, tend naturellement à la rétention et cultive la coercition. Le second vit de curiosité, tire toujours vers plus de liberté et n’est mieux que dans un monde sans contraintes. Dans les pays démocratiques, pouvoir et presse coexistent cependant en se supportant. Un équilibre entre la responsabilité et la liberté est nécessaire à cette fin.»Sans doute est-il que le chant de la liberté est plus doux à l’oreille que celui de la responsabilité, mais parce qu’il peut ressembler à un chant de sirènes, il est impératif de s’en protéger également. Déjà, nous étions conscients d’agir «dans un champ extrêmement sensible et particulièrement miné, animateur d’un espace où se côtoient, se mêlent et se confondent […] intérêt privé et intérêt public, libertés collectives et libertés individuelles, droit à l’information et droit à la vie privée, droit à l’investigation et sécurité de l’Etat et ordre public.» C’est pour cette raison qu’il nous semblait nécessaire de mettre les moyens pour «préserver [le journaliste] des tentations, de la corruption, de la manipulation et de la désinformation» dont le faible pour la presse n’a d’égal que l’attrait du miel pour les mouches.Ce qui nous semblait alors une urgence, trente-sept ans après l’indépendance, n’était autre que la création, «autant que faire se peut, du journaliste «idéal», conscient de ses droits et devoirs, qui établit la nuance entre l’information et le commentaire, respecte la vie privée sans rien céder de la liberté d’expression et le droit à l’information […] obéit à une déontologie aux principes connus.» J’ajouterai aujourd’hui reconnus par tous. L’exercice est vertigineux, mais quatorze ans après le colloque national sur l’information, le Maroc est plus que jamais devant la même urgence. Au moment où c’est la sécurité de l’Etat qui est en jeu, la profession, son syndicat de journalistes, son Club de la presse, sa Fédération des Editeurs ne peuvent indéfiniment se soustraire au débat et faire l’économie d’en débattre ouvertement et publiquement.
Naim KAMAL

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